Pour tenter d’endiguer les critiques continues sur sa politique relative aux régimes de retraite, le premier ministre Alward a envoyé à tous les députés provinciaux un exemplaire annoté du récent livre de Jim Leech & Jacquie McNish’s, The Third Rail: Confronting Our Pension Failures (la troisième voie : faire face aux échecs de nos régimes de retraite).
Sur un ton apparemment modéré, les auteurs de The Third Rail argumentent que nous devrions « redéfinir » les régimes à prestations déterminées plutôt que de les abandonner. Les régimes de pension, disent-ils, devraient être « plus souples », car les « prestations entièrement garanties sont désormais impossibles ». Les participants des régimes devraient tout simplement « partager davantage » les risques avec les employeurs.
De prime abord, cette déclaration semble tout à fait logique. On dirait que les auteurs prônent de modifier légèrement les régimes et non de les démanteler complètement. Ils semblent demander des demi-mesures et de justes compromis qui peuvent paraître tout à fait raisonnables pour de nombreux lecteurs.
Ce n’est pas surprenant que le premier ministre Alward ait été impressionné par ce livre : son gouvernement a aussi eu recours à un ton modéré semblable dans le débat entourant la conversion forcée des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur public à des régimes de retraite à « risques partagés ». Le gouvernement a déclaré que les nouveaux régimes à « risques partagés » ne se traduiraient pas par l’abandon des retraites et, qu’au contraire, il prenait des mesures pour les protéger. Le gouvernement prétend que, selon le nouveau modèle, « les risques et les rendements sont partagés entre les retraités, les participants actifs et le gouvernement ». Les médias du Nouveau-Brunswick ont transmis presque textuellement ce message mitigé, et ont fait circuler la notion erronée qu’en vertu des nouveaux régimes, les employeurs et les employés « diviseraient les coûts lorsque les rendements seraient faibles ».
Toutefois, la notion de « risques partagés » ne signifie pas pour autant que les risques sont partagés entre les employeurs et les participants, selon ce nouveau modèle. La documentation du régime à risques partagés indique que les participants actifs et retraités devront assumer pratiquement tous les risques. Les employeurs, par contre, sont très bien protégés à cet égard.
Si un régime à risques partagés est sous-financé, le seul risque qu’encourent les employeurs est une augmentation modeste et plafonnée de leur taux de cotisation, tout comme les participants du régime.
Toute autre pression quant au financement sera aussitôt équilibrée par une réduction illimitée des prestations de retraite, y compris la suspension potentielle des augmentations en fonction du coût de la vie pour les retraités et même des réductions des prestations de base.
Ceci n’est guère un système de « partage de coûts ». Les employeurs n’ont que des risques limités, soit une faible augmentation de leurs cotisations, tout comme les participants d’ailleurs. Par contre, les participants doivent assumer seuls le risque le plus grave et le plus dommageable, soit celui de recevoir un montant moindre. Il s’agit, en fait, de la fin des régimes traditionnels à prestations déterminées – un élément très obscur du livre The Third Rail et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. Auparavant, les employeurs pouvaient inscrire les obligations relatives aux régimes de pension dans leurs bilans de régimes à prestations déterminées. Désormais, ils n’auront pas d’obligations à inscrire selon le modèle à risques partagés, et nombreux sont ceux qui tenteront d’annuler leurs obligations actuelles lors de la conversion des régimes.
Le gouvernement a toujours passé sous silence ce point crucial. Dans son discours vantant les mérites d’un modèle de régime de pensions qui transfère le risque aux participants, le gouvernement affirme que la conversion permet en quelque sorte de rendre « plus sûr » le régime de pensions et que le « partage des risques » fait en sorte que les pensions « sont mieux protégées ».
Le gouvernement n’a rien fait pour corriger les propos souvent entendus dans les médias selon lesquels le modèle de partage des risques garantit des prestations de base, que seules les augmentations en fonction du coût de la vie sont dorénavant conditionnelles et que les déficits sont partagés également entre les employeurs et les employés. En réalité, aucune prestation n’est garantie (même les prestations de base) à l’avenir, et le risque est principalement assumé par les travailleurs.
Un récent rapport de la vérificatrice générale du Nouveau-Brunswick révèle ce qui, à notre avis, est le but réel du gouvernement dans cette conversion. Selon ce rapport, la province préconise une comptabilité sans passif pour les régimes de retraite à risques partagés puisque, selon la province, ce sont les employés qui assument la plus grande partie des risques dans ce genre de régimes. Lorsque le gouvernement a rencontré les représentants du SCFP, il a révélé son intention de rayer d’un coup de crayon presque 5 milliards de dollars au titre de la charge de retraite à payer pour les régimes de pension de la fonction publique et de veiller à ce qu’aucune charge de retraite, quelle qu’elle soit, ne soit comptabilisée à l’avenir. Et pourtant, on dit aux participants que cette mesure « protégera davantage » leur régime.
Ce n’est pas une solution qui a été longuement réfléchie : il s’agit d’un abandon pur et simple du modèle de pension à prestations déterminées. Le SCFP était — et est toujours — tout à fait disposé à rencontrer le gouvernement pour examiner différents moyens d’alléger les préoccupations du gouvernement concernant les coûts des régimes de pension, sans toutefois délaisser complètement le modèle de pension à prestations déterminées. Lorsque c’était nécessaire, les membres du SCFP de partout au pays ont montré une réelle volonté à prendre des décisions difficiles relativement aux négociations sur les régimes de pension – comme de vraiment « partager le risque ». Toutefois, le gouvernement a refusé d’examiner avec nous des solutions de rechange, a imposé le bâillon et s’est empressé de déposer une loi visant une conversion sans précédent du régime de pensions de la fonction publique.
C’est plutôt bizarre que le livre The Third Rail soutienne vouloir sauvegarder les régimes de pension à prestations déterminées en préconisant d’autres méthodes comme le « partage des risques » qui ne comporte dans les faits aucune prestation déterminée. C’est aussi bizarre que M. Alward dise que les prestations des participants seront « mieux protégées », puisqu’on transfère de force une grande partie des risques des employeurs aux participants.
Ce n’est pas étonnant que M. Alward aime bien le livre The Third Rail. Tout comme le livre, le gouvernement recourt à des propos qui peuvent sembler modérés pour cacher, dans les faits, le grave bouleversement tout à fait sans précédent des régimes de retraite de ses anciens employés et de ses employés actuels et futurs.
Daniel Légère,
Président SCFP NB